Marilyn, une vie de chien
Marilyn, une vie de chien
Article publié le 26 août 2010,
par Jean Soublin
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Les chiens figurent depuis toujours dans la littérature universelle. Ils y jouent leur rôle de protecteurs, de gardiens, de confidents ou, comme chez les Baskerville, de menace. Maf, le narrateur de ce récit à peine romancé (mais tout de même assez fantasque), appartient à la race des bichons. D'origine anglaise au contraire de son créateur - un Ecossais talentueux apprécié et primé dans son pays -, Maf grandit dans un milieu d'intellectuels où l'on célèbre volontiers Christopher Isherwood, Vita Sackville-West et Virginia Woolf. Tous ces écrivains avaient des chiens à qui ils ont donné une notoriété littéraire comme d'autres avant eux. L'auteur le rappelle d'ailleurs avec un aide-mémoire sur les grands chiens de lettres, comme le bouledogue Pelléas de Maeterlinck.
Une fois établie la supériorité des canins sur leurs maîtres, fussent-ils écrivains couronnés ou artistes novateurs, l'auteur peut réaliser son projet : narrer, ou plutôt étudier les deux dernières années de Marilyn Monroe, telles que les vit Maf, emmené aux Etats-Unis pour y être vendu et finalement donné à Marilyn par Frank Sinatra. Il s'agit, on s'en souviendra, d'une époque passionnante de l'histoire américaine avec au moins trois événements cruciaux : la guerre en Asie, le combat égalitaire des Noirs et l'élection de Kennedy. Sans trop s'attarder sur les faits, l'auteur rend compte de cette atmosphère de changement, des espoirs, des angoisses et des controverses qu'elle répand dans la société.
Marilyn, qui vient de tourner les Misfits et de divorcer d'Arthur Miller, est au faîte de sa gloire. Elle vit à New York et fréquente assidûment - éperdument ? - sa psychiatre, Mme Kris. Elle tente aussi de réaliser un rêve : celui de briller au théâtre, ce qu'elle essaie de faire sous la férule de Strasberg. Elle n'y parviendra pas. Sans s'appesantir sur ces faits, aujourd'hui très connus, O'Hagan étudie les états d'âme de son héroïne, la tristesse, les doutes, les espoirs tels que les perçoit dans l'intimité le bichon subtil, attentionné, compatissant, parfois moqueur quand il parle de sa maîtresse à d'autres chiens qu'il croise.
On quitte New York, il y a quelques scènes bruyantes avec Sinatra, puis d'autres, touchantes, au cours d'un voyage au Mexique. Marilyn, apprend-on, y rencontra le comique Cantinflas, formidablement populaire à cette époque dans toute l'hispanité. De retour à Hollywood, la comédienne y achète sa dernière maison. C'est l'époque du désastreux tournage de Something Has Got to Give, sous l'oeil impitoyable de Dean Martin. Entre deux prises, Norma Jean coupe les ponts avec un homme qu'elle a longtemps cru être son père. On commence à envisager un aller-retour à New York pour l'anniversaire de Kennedy...
SPÉCIALISTES ET AMOUREUX
Tous ces faits sont naturellement connus des spécialistes et innombrables amoureux anonymes de la vedette dont certains, on peut déjà le prévoir, maudiront l'auteur pour ses choix, ses silences et peut-être ses erreurs s'il en a commis. Reste, sur le plan littéraire, la question du chien Maf, de ses commentaires apitoyés ou sévères sur les comportements de l'actrice, de ses conversations avec d'autres animaux. Il énervera sans doute les gardiens du trône, les adorateurs de la blonde torturée par elle-même (1). Un sacrilège, peut-être, mais un sacrilège intéressant.
* Vie et opinions de Maf le chien et de son amie Marilyn Monroe (The Life and Opinions of Maf the Dog, and of His Friend Marilyn Monroe) d'Andrew O'Hagan.
* Traduit de l'anglais par Cécile Deniard, Christian Bourgois, 348 p., 21 €.
*(1) Le 7 octobre sortira au Seuil Fragments, recueil de poèmes, carnets intimes et lettres de l'actrice (33 photos et 101 fac similés, traduit de l'anglais par Tiphaine Samoyault, 272 p., 29,80 €).