Livre - Marilyn Monroe, une vie en morceaux

Article publié le 07/10/10
par
Stéphane Haïk
en ligne sur francesoir.fr

Fragments, qui réunit extraits de journaux intimes, lettres et poèmes, écrits de 1943 à la veille de sa mort, en 1962, révèle la vraie Marilyn, bien loin de l’icône.

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"Marilyn Monroe, Fragments"
 

A mille lieues de l’image de la pin-up détachée de tout questionnement existentiel, les écrits de Marilyn la montrent douée d’un vrai sens de la réflexion. Et pétrie d’une angoisse névrotique. En témoigne l’effroi qui perce en filigrane dans une bonne partie de sa correspondance, telle cette lettre écrite en 1961. A son insu, son psychiatre l’avait fait interner dans une cellule spécialisée d’une clinique new-yorkaise, tandis qu’elle croyait y entrer pour une cure de repos : « Enfermée avec tous ces pauvres fous, je me sens comme dans une prison pour un crime que je n’ai pas commis. S’il vous plaît, aidez-moi. » Destinataire de la missive : Lee Strasberg, qui forma Marlon Brando et James Dean dans son école de l’Actors Studio. Marilyn, assurément trop fragile, trop dépressive, pour assumer le poids de l’apprentissage et les contraintes d’un métier aux contours si incertains. D’autant que celle qui se nommait encore Norma Jeane Mortenson et exerçait la profession de mannequin devint comédienne par hasard, après avoir été repérée par un cadre de la 20th Century Fox.

Son ascension fulgurante, à laquelle elle ne fut mentalement pas préparée, ne fit qu’accentuer un mal-être développé depuis l’enfance. D’ailleurs, qui fut son père ? Le barde norvégien Martin Edward Mortenson ? Ou celui que sa mère lui montra un jour en photo et qui affichait d’étranges ressemblances avec Clark Gable ? Le sort psychologique de la future Marilyn fut alors scellé.

Prison intérieure

La maturité venue, l’actrice tenta en vain de combattre ses démons intérieurs dans les bras des hommes – amants, dont le plus fameux demeura le président Kennedy, et maris successifs. « Je ressens une souffrance lourde d’un sentiment de rejet et de blessure face à la destruction et à la perte d’une sorte d’image idéalisée de l’amour vrai », nota-t-elle après sa séparation d’avec son premier époux, Jim Dougherty, en 1946. Et ses mariages avec le joueur de base-ball Joe DiMaggio et le dramaturge Arthur Miller, auprès duquel elle espéra enfin trouver l’amour idéal tel qu’elle se le figurait, ne lui firent pas plus entrevoir l’horizon d’une possible délivrance.

De cette vie chaotique emplie de doutes sur elle, sur les hommes, sur son travail, elle s’échappa par intermittence. En écrivant des poèmes. Sans grand intérêt. Et en lisant. Frénétiquement. Jusqu’à se constituer une bibliothèque de quelque 400 ouvrages où voisinèrent Camus, Proust, Beckett, Hemingway, Joyce. Réussit-elle pour autant à en saisir toute la portée littéraire ? On peut en douter. Une chose est certaine : elle fut soucieuse d’ouvrir les portes d’un univers auquel son éducation ne l’avait pas prédestinée. Et d’y chercher un havre de paix au cœur d’une prison intérieure dans laquelle sa psyché l’avait enfermée à perpétuité.

Marilyn Monroe, Fragments,
270 p., éd. Le Seuil, 29,80 €.

François Forestier : “Elle eut autant de rigueur qu’une méduse”

« Elle fut non seulement malade, mais fortement toxique », explique à France-Soir le journaliste du Nouvel Observateur François Forestier, auteur en 2008 de Marilyn et JFK (éd. Albin Michel). « Son comportement sur les plateaux devint à ce point désastreux que la 20th Century Fox décida de rompre son contrat. Ce qui, dans toute l’histoire du cinéma, ne s’était jamais produit pour une star qui rapportait autant d’argent. » Et François Forestier de penser que, si le destin lui avait prêté vie après 1962, elle eût sans doute terminé sa carrière en Europe dans des productions insignifiantes. « Elle eut autant de rigueur qu’une méduse. Certaines séquences nécessitèrent parfois jusqu’à 30 ou 40 prises, rendant les choses ingérables pour les équipes techniques. » Parce qu’elle fut mauvaise comédienne ? « Non, parce que sa grave dépression, qui s’était mue en une forme de schizophrénie, jusqu’à ne plus supporter l’image que lui renvoyaient ses propres rôles de composition, l’avait rendue inapte au travail. »

Marilyn telle qu’en elle-même

Des lettres, des billets, des poèmes, des notes à foison. La lecture minutieuse de ces écrits se révèle passionnante, en ce qu’elle permet de mieux appréhender la vraie nature de Marilyn : les ratures, nombreuses, la graphie, maladroite, le déroulement de la pensée, « accidenté ». Tout trahit, dans le fond comme dans la forme, un personnage désabusé, instable, mais la tête emplie de rêves. Seul regret : l’iconographie, que l’on eût préférée plus riche, plus révélatrice d’une femme aux multiples visages