Marilyn Monroe, histoire d'un mythe
Marilyn Monroe, histoire d'un mythe
Par Olivier Rajchman (Studio Ciné Live)
publié le 3 août 2012
en ligne sur lexpress.fr
C'est une marque déposée. Un totem sexuel. Le sujet inépuisable d'études romanesques ou de reproductions commerciales. Elle est ce que l'on veut qu'elle soit... ll y a 50 ans, le 5 août 1962, disparaissait Marilyn Monroe.
Marilyn Monroe, initiales M.M.
C'est une marque déposée. Un totem sexuel. Le sujet inépuisable d'études romanesques ou de reproductions commerciales. Marilyn Monroe est ce que l'on veut qu'elle soit. Actrice et chanteuse. En robe lamée couleur chair ou jean moulant et chemisier de soie. Garce torride ou enfant perdue. Quand ce n'est pas les deux à la fois: "Je suis instable, je le sais, reconnaissait-elle. Je voudrais trouver l'amour, mais je sacrifie tout à ma carrière. Je souhaiterais jouer de grands personnages, mais je suis incapable de mémoriser mes textes. Je suis une star, mais les studios me haïssent." Lucide et désespérée, elle ne pouvait s'empêcher d'atténuer ses souffrances en s'enivrant d'alcool, de médicaments et d'amants, pour mieux abolir les barrières entre ses illusions et la réalité.
Marilyn Monroe et Richard Allan dans Niagara d'Henry Hathaway (1953).
Au lendemain de sa disparition, le 5 août 1962, la photographe Eve Arnold, qui l'avait si longtemps sublimée en déesse de l'amour, en faisait le constat, désolée: "Marilyn s'est noyée dans son propre rêve." Elle était pourtant née au coeur de cet eden qu'elle avait caressé. À Hollywood. Mais du mauvais côté d'une barrière qui vous fait contempler de loin les étoiles sans jamais les toucher. Coeur d'artichaut et monteuse à la RKO, Gladys Monroe ne doutait pas qu'elle puisse échapper à la règle. La jeune femme avait eu deux enfants d'un nommé Baker, parti avec leur progéniture sans laisser d'adresse. Dépourvue de remords, elle s'était alors éprise d'un immigré norvégien, Edward Mortenson, boulanger itinérant qui reprit la route en apprenant sa grossesse. Fruit de leur amour de misère, une petite fille avait vu le jour le 1er juin 1926. Boucles châtain, yeux gris bleuté, Norma Jean idéalise son père sans le connaître. Toute gosse, elle se plaît à l'identifier, sur la foi d'une vague ressemblance photo, à Clark Gable. Le pli est pris. Entre Gladys et son amie, tante Gracie, la gamine arpente Sunset Boulevard et s'imagine laissant ses empreintes dans le ciment du Grauman's Theater. Elle ambitionne aussi de parcourir, nue, le vaste monde. Le temps de comprendre la cruauté des hommes, elle se retrouve, grelottante, pupille du comté de L.A., séparée d'une mère parano et dépressive internée en maison de repos. Parce qu'elle en est privée, la petite Norma Jean visite, le long de nuits sans sommeil, d'étranges familles d'accueil. Ballottée, elle reçoit, au passage, l'attention particulière de pères d'adoption pervers. Il lui en restera, à vie, un bégaiement traumatisant et, longtemps, un effroi pour l'acte de chair contrastant avec son apparence légère.
Marilyn Monroe et Tom Ewell dans Sept ans de réfexion (1955).
L'EXHIBITIONNISTE INACCESSIBLE
Faussement offerte, l'orpheline malgré elle a, en effet, conscience de sa séduction. Jouant, gage innocent d'affection, de ses appas dès l'âge de 12 ans, accoutumée à la puberté aux rendez-vous galants, elle sort mais ne couche pas. Norma Jean n'est pas Messaline. Son entourage ne le comprend pas. Pour couper court aux rumeurs et aux menaces d'un retour à l'orphelinat, on la marie, à 16 ans, à Jim Dougherty, brave gars qui pense épouser la version femme au foyer de Miss America. Potiche aux fourneaux, Norma Jean ne sait pas même faire cuire un oeuf au plat. En revanche, ce dont elle use admirablement bien, c'est d'un sex-appeal consommé. Suivant Jim, enrôlé sur la base de Catalina Island, elle s'y pavane à la moindre occasion, roulant des hanches, vêtue de sweats moulants et de jupes échancrées. Dougherty réalise. Un peu tard. "Elle savait qu'elle avait un corps magnifique, dira-t-il. Elle savait que les hommes l'aimaient et il ne lui déplaisait pas de se dévoiler légèrement." Exhibitionniste inaccessible, la belle ne dément pas: "Cela m'est égal que le monde soit fait pour les hommes tant que je peux y être femme." Sa profession de foi lui brûle pourtant les doigts. Décidée à s'affranchir d'un carcan étouffant, Norma Jean quitte son usine d'armement et pense devenir modèle après avoir allumé l'objectif des photographes militaires.
Marilyn Monroe et Brad Dexter dans Quand la ville dort de John Huston (1950).
Remarquée par une agence de Beverly Hills, elle rompt les amarres avec Dougherty et accepte, contre son gré, de se faire décolorer en blond platine ou doré avant de trouver un nom de cover-girl pour magazines. Marilyn Monroe devient, en fait, son personnage. Séance photos pour Halsman et Lifeau milieu de sept autres starlettes. Repérage d'un expert en la matière -Howard Hughes- qui la conduit au premier bout d'essai réalisé clandestinement à la Fox. Chef op chevronné, Leon Shamroy flaire l'affaire: "Je fus pris d'un frisson. C'était la première fille qui ressemblait à ces luxuriantes stars du muet. Chaque image de l'essai irradiait la sexualité. Elle n'avait pas besoin de son pour raconter une histoire." Patron de la 20th Century Fox, Darryl Zanuck n'est qu'à moitié convaincu. Il l'engage tout de même. On la distribue négligemment dans quelques bandes sans intérêt. Leçons de chant et de comédie, mais au bout d'un an la Fox ne renouvelle pas son contrat. Idem à la Columbia. Monroe déprime. Accepte, vieux fantasme, de poser nue pour survivre. On lui ressortira les clichés scandaleux à l'heure des premiers box-offices.
En attendant, Marilyn se trouve un mentor: vice-président de la William Morris, Johnny Hyde relance sa carrière. Fou d'amour, le ponte hollywoodien obtient pour elle de petits rôles dans de grands films, chez Huston et Mankiewicz. Le décès brutal de l'amant Pygmalion la laisse sans repères. De fait, la Fox, qui l'a récupérée, ne sait que faire de la blonde incendiaire. Marilyn désespère: "Je ne trouvais pas le moyen de faire une percée. M. Zanuck m'apparaissait la nuit dans mes cauchemars. Je me réveillais le matin, décidée à amener M. Zanuck à m'apprécier, et j'essayais de le voir pour en parler, mais il ne me le permettait pas." Si Darryl résiste à la starlette complexée qui se pique de suivre des cours d'art et de littérature à UCLA, les distributeurs, piqués au vif par la curiosité d'un public la plébiscitant comme une nouvelle Betty Grable, commencent à renvoyer au studio l'écho d'une popularité grandissante.
Marilyn Monroe dans La rivière sans retour d'Otto Preminger (1954).
L'EMMERDEUSE PERFECTIONNISTE
Lors du tournage de Chérie, je me sens rajeunir, qui la voit faire jeu égal avec Cary Grant, Marilyn rencontre le champion de base-ball Joe DiMaggio. Il la trouve sensuelle et soumise. Elle ignore tout du sport. Il s'enflamme. Elle s'attache. Le malentendu est consommé sur le tournage de Niagara, film noir en couleur qui révèle son talent dramatique. 1952 est son année. Elle en a conscience lorsque, à l'issue des Hommes préfèrent les blondes, elle pose, en compagnie de Jane Russell, ses mains dans le plâtre humide du Grauman's Theater. Un rêve d'enfant passe, même si Gladys et tante Gracie ne sont pas là pour en témoigner. Après avoir affirmé que les diamants sont les meilleurs amis de la femme, elle enchaîne les succès, d'aimables pochades (Comment épouser un millionnaire) en semi-navets (Rivière sans retour). Combinant déhanchement ondoyant, voix susurrante et suave, son jeu plaisant, mais encore limité, dégage un érotisme torride comparé, par le producteur Jerry Wald, à une sexualité mise en bouteille: "Elle en laisse sortir une certaine dose quand elle en a besoin pour une scène; après quoi, elle remet le bouchon et range le flacon."
Marilyn Monroe, Betty Grable et Lauren Bacall dans Comment épouser un millionnaire.
La rupture survient avec Sept ans de réflexion. La scène de la bouche de métro ayant provoqué l'ire du macho DiMaggio, Marilyn en profite pour s'envoler vers New York. Cours à l'Actor's Studio, choix d'une coach-gourou, Paula Strasberg, omniprésente; Monroe s'évertue à changer d'image, applique à son instabilité un vernis intello, fréquente le dramaturge Arthur Miller. Athlétique, froid, raisonné, ce dernier se laisse séduire. Marilyn, de son côté, pense l'heure venue. Apprenant à cuisiner kasher, à jouer la tragédie -dans l'émouvant Arrêt d'autobus-, elle imagine ne plus avoir de comptes à rendre à son passé. Un échec cuisant -Le prince et la danseuse- et deux fausses couches plus loin, Norma Jean la rattrape. Plus que jamais dépressive, elle se laisse néanmoins convaincre par Miller de jouer dans Certains l'aiment chaud. Le tournage de ce qui devait rester son meilleur film tourne au cauchemar. L'emmerdeuse perfectionniste vire névrosée et rend folle l'équipe. Jack Lemmon, l'un de ses partenaires, s'en souviendra longtemps: "Elle était malade à l'époque, mais nous ne l'avons su qu'après. Dans une scène, elle devait frapper à la porte, entrer et demander: "Où est cette bouteille de bourbon?" Puis elle l'apercevait, disait: "Oh, la voilà" et la prenait. C'était tout. Neuf mots. Avec Tony Curtis, on a pris les paris. Il a fallu quarante-huit prises!"
Les Désaxés de John Huston (1961).
À la sortie du film, son auteur, Billy Wilder, ironise: "Je ne tournerai plus avec elle. J'en ai parlé à mon homme d'affaires et à mon psy qui m'ont dit que j'étais trop vieux et trop riche pour recommencer cela." Mais à l'écran, rien ne transparaît. Triomphe artistique et financier, Certains l'aiment chaud grille pourtant Marilyn aux yeux de la profession. Du Milliardaire, où elle vit auprès d'Yves Montand une passade, aux Désaxés, qui la voit rompre avec Miller, en passant par sa liaison contrariée avec le Président Kennedy, la chute est programmée. Le capotage de Something's Got to Give, au printemps 1962, semble, paradoxalement, marquer une rémission. Résignée à entamer une nouvelle phase de sa vie, Marilyn n'avait vraisemblablement pas choisi de se suicider un petit matin d'été. Qu'importent, au fond, les rumeurs qui, depuis, se sont succédé. Loin de ses ultimes tourments, Marilyn Monroe, ange émouvant et troublant de l'ère Eisenhower, manipulatrice fragile et naïve, demeure, pour longtemps, seule avec son aura et ses mystères.