Les Echos 16/02/2023
Les Echos
n° 216
pays: France
hebdomadaire 16 février 2023
prix: 3,40 €
Article intérieur encart rubrique "art et culture" sur la sortie du livre "Des blondes pour Hollywood" intitulé "les avatars de Marilyn"
« Des blondes pour Hollywood » : les avatars de Marilyn
16 février 2023 - sur Les Echos
Journaliste culture et critique cinéma aux « Echos », Adrien Gombeaud réhabilite dix sosies de Marilyn Monroe dans une collection de portraits très joliment troussée. Si vous n'avez jamais entendu parler des Mamies, Joi, Sheeree et autres Diana, il est temps de leur accorder l'attention dont elles ont été privées.
« Des blondes pour Hollywood. Marilyn et ses doubles », d'Adrien Gombeaud. Editions Capricci.
Le grand public n'a retenu ni leur nom ni même leur prénom, à ces Mamie, Joi, Sheeree, Diana éclipsées par sept lettres magnétiques : Marilyn. Et pourtant, ces blondes atomiques avaient chacune une particularité à faire valoir dans un Hollywood dévoreur de nouvelles recrues. « Elles avaient toutes, sinon du talent, au moins un talent », écrit Adrien Gombeaud dans son trépidant essai « Des blondes pour Hollywood. Marilyn et ses doubles ». « Elles savaient occuper une scène, danser, chanter, jouer la comédie, parfois d'un instrument de musique ou encore, tout simplement, attirer la lumière. »
A travers dix portraits brossés à la manière d'un roman noir, le journaliste et critique cinéma des « Echos » a voulu réhabiliter ces sosies qui auraient pu faire carrière si seulement l'écran n'avait été monopolisé par la seule et unique Marilyn Monroe. Ces ombres ont été sacrifiées au projet fou d'une industrie ultracapitaliste de fabriquer en série des actrices « aussi reproductibles que des voitures, des cigarettes ou des boîtes de soupe Campbell » afin de répondre à la demande de spectateurs particulièrement conservateurs. Aucune place pour les aspérités ou les acarctères un peu différents, "punk ou borderline", dans un Holywood puribond et lisse - au moins en apparence. Et l'avènement de la télévision ne fera qu'accentuer la tendance à consommer des personnalités consensuelles jusqu'à leur épuisement complet.
Figurations fugaces
Dès lors, il ne restait plus qu'à ces malchanceuses aspirantes à la gloire qu'à se contenter des miettes laissées par une star qu'elles ont souvent à peine croisée, ne jouant pas dans la même catégorie. Elles firent de figurations fugaces dans des films dont Marilyn ne voulait pas, récupèrèrent des rôles de blondes idiotes qui l'exaspéraient, portèrent les corsets qui avaient, jadis, mis sa plastique en valeur. Certaines iront jusqu'à envisager de se teindre en brunes pour échapper à la malédiction.
On sent dans ces pages, fort joliment troussées, le profond intérêt de l'auteur pour cette période du cinéma américain pas aussi dorée qu'on la présente parfois. Au-delà des destins tragiques des protagonistes, il décrit avec une foule d'anecdotes le fonctionnement effroyable des studios avec lesquels la plupart étaient sous contrat. Rares sont celles à y avoir survécu. Touchante exception: Mamie Van Doren vient de fêter son anniversaire. A 92 ans, l'ex Miss Palm Springs tweete encore.
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Les Echos Week-End 15/07/2022
Les Echos Week-End
n°23749
pays: France
parution le vendredi 15 juillet 2022
Le supplément magazine vendu avec l'édition du journal le vendredi
Article de 7 pages
La vie « made in France » de Marilyn Monroe
> Par Sebastien Cauchon; en ligne sur lesechos.fr
On connaît le goût de Marylin pour le parfum français mais moins celui pour les cocottes Le Creuset ou encore les objets Baccarat. En matière de lifestyle, la superstar hollywoodienne la jouait made in France. En atteste ses factures et autres correspondances que se sont amusé à éplucher « Les Echos Week-End ».
Marilyn Monroe et Yves Montand, le 16 janvier 1960 à Hollywood,
lors du cocktail annonçant le tournage du « Milliardaire », film dont ils partagent l'affiche.
(© AFP)
On connaît la passion de Marilyn Monroe pour le 5 de Chanel et celle, plus fugace, qui la lia le temps d'un tournage à Yves Montand. Deux symboles de la France à travers le monde que l'icône hollywoodienne contribua sans doute indirectement à populariser une fois ses deux coups de coeur dévoilés au grand jour. Ce que l'on sait moins, c'est que dans l'intimité, ce symbole de la pop culture américaine des fifties, disparue il y aura tout juste soixante ans le 4 août prochain, aimait également s'entourer des grands noms de l'art de vivre à la française.
Née en 1926 d'une mère qui l'éleva à peine et d'un père qu'elle ne connut jamais, Norma Jeane Mortenson traversa l'enfance dans des conditions plus que modestes. Peu de chance que le soft power français ait alors croisé la route de cette enfant des quartiers périphériques de Hollywood. Vite mariée à 16 ans (pour échapper à l'orphelinat) avec un pur Yankee éberlué, elle l'abandonna rapidement pour embrasser une carrière de mannequin.
Quête d'excellence
Et c'est en se réinventant devant les caméras de la 20th Century Fox sous le nom de Marilyn Monroe que Norma Jeane connut le succès. Puis, très vite, l'ambition secrète de devenir une grande actrice et d'être reconnue en tant que telle. Est-ce cette quête d'excellence qui la poussa à accumuler les commodes Louis XV, les reproductions de Pierre Bonnard et Pierre-Auguste Renoir ou encore les ouvrages d'Albert Camus, Flaubert ou Proust ?
Marilyn se parfumant au Chanel N° 5, le 24 mars 1955, à l'hôtel « Ambassador » à New York.
© Ed Feingersh/Michael Ochs Archives/Getty Images
Loin d'être une pose, cet attrait pour le beau venu de France se retrouvait dans les objets du quotidien que la star choisissait avec soin, à mille lieues de l'image de la fille superficielle et rigolote, la fameuse « girl next door » que le studio s'efforça de vendre film après film avec un succès certain. Qui aurait cru que l'incarnation du glamour hollywoodien possédait une batterie de cuisine Le Creuset de huit pièces (dont deux cocottes) dans un délicat coloris jaune paille ? C'est ce que l'on découvre en octobre 1999 à la faveur de la très médiatisée vente aux enchères des effets personnels de la star organisée par la maison Christie's. Les observateurs attentifs savent pourtant que Marilyn n'a pas attendu la création du Comité Colbert (en 1954) pour succomber aux charmes du « made in France ».
N°5, Arpège et Joy
Folle du 5 et de ses notes d'aldéhydes, ylang-ylang, néroli, bergamote et citron, elle s'approvisionne régulièrement auprès des grands magasins de luxe tels I. Magnin à Los Angeles ou Saks à New York. Jusqu'à en posséder 26 flacons, selon la légende. Marilyn lui substitue ponctuellement deux autres best-sellers de la parfumerie française : Arpège de Lanvin ou Joy de Patou. Les actrices ne sont alors pas encore des égéries et paient sur leurs deniers propres, comme le confirment les nombreuses factures de ce type que l'on retrouvera parmi les effets personnels de la star après sa disparition.
Facture de parfum Chanel N° 5 acheté au grand magasin I. Magnin de Beverly Hills.
© Courtesy of Julien's Auctions
Marilyn succombe également dès ses débuts professionnels à un autre étendard du raffinement à la française : le champagne. Boisson officielle du septième art dont elle partage la blondeur et le caractère pétillant, elle en remplit les réfrigérateurs de ses diverses résidences successives (38 en seize ans, tout de même). Le Dom Pérignon 1953 avait clairement sa préférence : en juin 1962, Pat Newcomb, l'attachée de presse personnelle de la star, avait ainsi veillé à ce que le photographe Bert Stern en ait a minima trois bouteilles en stock pour sa séance prévue pour « Vogue ».
Une autodidacte au goût très sûr
Prévoyant, Stern s'était muni d'une caisse entière. « Le champagne ne coûtait alors que 11 dollars la bouteille, au lieu de 55 actuellement », écrivait-il en 1982 dans le récit de cette ultime séance. En 2022, la mythique cuvée est quasi introuvable et proposée à plusieurs milliers d'euros aux amateurs lorsqu'une bouteille vintage fait ponctuellement apparition sur le marché des collectionneurs fortunés.
Si Moët & Chandon peut s'enorgueillir d'avoir su séduire les papilles de la star avec son millésime 1953, Marilyn ne dédaignait pas pour autant les autres grandes maisons champenoises. Ses bons de commande ou encore ses notes de room-service pendant les tournages indiquent que le Piper-Heidsieck ou le Mumm Cordon Rouge trouvaient régulièrement grâce à ses yeux. Nulle trace de vulgaire « sparkling » californien dans ses factures, Marilyn Monroe était définitivement une autodidacte de goût, y compris dans le domaine vinicole.
Le bal « April in Paris »
Un goût très sûr et une quête d'excellence qui lui font fuir Hollywood en 1954 pour s'établir à New York. Elle y fonde sa propre maison de production en 1955 et épouse l'année suivante le dramaturge Arthur Miller. L'intelligentsia de la côte Est l'accueille à bras ouverts et Marilyn souhaite se réinventer, les conditions sont réunies pour que s'épanouisse son amour de la France.
Le champagne est l'un des raffinements à la française qu'adorait Marilyn,
avec un goût sûr pour les grandes maisons. © Ramey Agency/ABACA
Elle accepte ainsi avec plaisir l'invitation au bal « April in Paris » qui se tient au « Waldorf Astoria » le 11 avril 1957. Lancé cinq ans plus tôt par le futé manager français de l'établissement, un certain Claude Philippe, l'événement s'est imposé comme le raout mondain et caritatif de l'année auprès de la bonne société new-yorkaise.
Sous couvert de renforcer l'amitié franco-américaine, le dîner dansant est une magnifique opération de promotion des artistes français et des fleurons du savoir-faire hexagonal qui financent la soirée : Dior, Balmain, Givenchy, Cartier ou encore la Fédération nationale française de dentelles, tulles, broderies et passementeries. L'invitation est facturée 100 dollars (reversés à des oeuvres de charité) et donne aux participants fortunés bon pour une tombola dont les lots vont de la Renault Dauphine au cendrier de chez « Maxim's » !
Razzia chez Baccarat
Fidèle à sa légende, Marilyn arrive en retard, main dans la main avec Arthur Miller, avec qui elle ouvre langoureusement le bal sous les flashs des photographes. Lors du dîner, elle croise Gérard Philipe, Zizi Jeanmaire et Jean Marais.
On ignore si les représentants de la maison Baccarat sont présents ce soir-là, mais Marilyn va dévaliser peu après le showroom new-yorkais de la manufacture de cristal originaire de Meurthe-et-Moselle pour décorer son appartement du 444 East 57th Street où elle vient d'emménager avec Miller. Emblématique horloge Soleil (trônant au-dessus de la cheminée), carafes à décanter, chandeliers, verres à eau et à vin, candélabres… les pièces Baccarat affluent dans le grand appartement dont la star a fait recouvrir les sols de moquette beige et des pans de murs entiers de miroirs.
Facture d'une caisse de Dom Pérignon, le champagne préféré de Marilyn,
achetée en mai 1962, trois mois avant sa mort. © Ramey Agency/ABACA
La marque a, il est vrai, installé sa boutique « flagship » new-yorkaise à quelques mètres du domicile de l'actrice, au 55 East 57th Street. Une adresse à laquelle on trouve au premier étage la salle d'exposition de la maison Porthault. A l'en croire, celle-ci y aurait vendu ici même à Marilyn son linge de maison imprimé Coeurs rose issu des ateliers de Rieux-en-Cambrésis… Ce que l'on sait avec certitude, c'est que Marilyn fréquentait effectivement cette adresse, puisque le 25 novembre 1958, une facture en atteste, elle poussa la porte de la boutique Baccarat pour y faire l'achat d'un cendrier en cristal référence « numéro 33 » pour la somme de 180,25 dollars.
Une garde-robe monopolisée par Norman Norell
Etonnamment, peu de pièces de haute couture française dans la garde-robe de la star qui aspire alors pourtant à transformer son image et gommer les années pin-up de ses débuts. Deux raisons à cela. Tout d'abord, l'actrice privilégie dans l'intimité les tenues simples et confortables, empruntant si besoin au département costumes de la Fox les robes glamours le temps d'une soirée de gala. Ensuite, un homme veille sur ses tenues depuis son arrivée sur la côte Est et l'accompagne dans le processus de sophistication de la « nouvelle » Marilyn. Il s'agit du couturier Norman Norell, un ami des Greene, chez qui Marilyn a trouvé refuge après avoir quitté Hollywood.
Sur les conseils d'Amy Greene, Norell est mis à contribution pour renouveler la garde-robe de la star grâce à un ingénieux partenariat : il fournira ses créations gracieusement et prendra en charge une partie des frais du train de vie de la star (coiffeur, esthéticienne, manucure), et en contrepartie Marilyn portera du Norell pour toutes ses apparitions publiques, lui assurant ainsi une immense publicité. Oubliés les robes à noeuds fuchsia, les lamés or et les bustiers plongeants de soie rouge et dentelles. Norman Norell pare Marilyn d'une élégance minimaliste de bon ton.
Les tables laquées de « Mrs Miller »
Son influence s'étend au-delà du dressing puisque c'est lui qui joue les intermédiaires entre l'actrice et la maison Leleu. Fleuron des arts décoratifs français, Leleu crée alors du mobilier d'exception mêlant bois laqués, marbre, albâtre et bronze pour les grands de ce monde. Le 29 septembre 1959, la secrétaire de Marilyn Monroe adresse un courrier au siège parisien de la maison Leleu, avenue Franklin Roosevelt : « Messieurs, suite aux arrangements pris avec Mr. Norman Norell, veuillez trouver ci-joint un chèque d'acompte de 150 dollars pour trois tables laquées au nom de Mrs Arthur Miller. » La commande est précise, on indique que « la laque doit être de style numéro 1, comme indiqué sur les échantillons apportés par Mr. Norell ».
Correspondance échangée à l'occasion de la commande de trois tables gigognes
à la maison française Leleu. © Courtesy of Julien's Auctions
Fils du fondateur Jules, Jean Leleu s'empresse de lancer la livraison des trois tables gigognes destinées au salon de la plus grande star au monde. Le 6 octobre, il informe par retour de courrier « Mrs Miller » de la bonne réception de son acompte et de l'expédition de sa commande prévue « dans les premiers jours de décembre ». Il précise timidement : « Je me réjouis de savoir certains de mes meubles chez vous, même si ce sont de petites pièces. Vous pourriez être intéressée par nos produits et nos tendances, aussi je joins à ce courrier quelques pages de publications françaises à notre sujet. » Avant de s'enhardir : « Nous sommes reconnus comme des décorateurs d'exception spécialisés dans la fabrication de meubles modernes sur mesure. Notre savoir-faire est inégalé : c'est la raison pour laquelle nous avons été sélectionnés pour la décoration de nombreux navires de luxe, ambassades, résidences présidentielles, etc. » Et de tenter enfin sa chance : « Ce serait pour moi un plaisir de réaliser pour vous des esquisses personnalisées s'il vous arrivait d'avoir des résidences à meubler et décorer. »
Subjuguée par Yves Montand
Las, comme l'atteste l'épaisse correspondance conservée à ce sujet, les formalités de douanes vont compliquer et retarder la livraison de la caisse renfermant les fameuses tables. Et Marilyn ne renouvellera pas commande à la maison Leleu… Mais la France n'est jamais loin d'elle en cette année 1959. Quelques mois plus tôt, c'est en effet un artiste français qu'elle découvre sur les planches du Henry Miller Theater à Broadway. Le 21 septembre 1959, Marilyn assiste à la première du one man show « An evening with Yves Montand ». Subjuguée, et alors que Miller était retenu par son travail d'écriture, elle retourne avec lui voir le spectacle trois jours plus tard.
Le 16 janvier 1960, c'est à Hollywood que les couples Montand et Miller sont réunis pour une conférence de presse annonçant le début de tournage du film « Le Milliardaire » dont Marilyn et Montand se partagent l'affiche.
Les couples Marilyn Monroe-Arthur Miller et Yves Montand-Simon Signoret,
dans l'appartement de Montand au « Beverly Hills Hotel »,
durant le tournage du « Milliardaire », en 1960.
© Bruce Davidson/Magnum Photos
Comme si le titre original du film n'était pas assez prémonitoire (« Let's Make Love »), Marilyn déclare à la presse : « Après mon mari et ex aequo avec Marlon Brando, je trouve qu'Yves Montand est l'homme le plus séduisant que j'aie jamais rencontré. » Les couples Signoret-Montand et Monroe-Miller s'installent dans des bungalows voisins au « Beverly Hills Hotel » pour la durée du tournage et le photographe Bruce Davidson immortalise le temps d'un dîner la catastrophe annoncée dans un cliché devenu célèbre. Simone Signoret regarde Yves Montand qui regarde Marilyn qui regarde Arthur Miller qui regarde Yves Montand, un sourire crispé aux lèvres.
La suite est connue. Et si, dans l'un des numéros musicaux du film, Marilyn y susurre dans un français adorable « Mon coeur est à papa », en privé, son mariage avec Arthur Miller ne se relèvera pas de son « coup de foudre d'écolière » tel que Montand, en parfait goujat, qualifiera leur brève romance avant de rentrer à Paris.
Un Rodin dans le salon
L'épisode semble éloigner la France de Marilyn qui, en divorçant de Miller, déserte la côte Atlantique pour s'établir à nouveau à Los Angeles. C'est à Brentwood qu'elle achète en mars 1962 une hacienda de style espagnol qu'elle entreprend de rénover dans le plus pur style mexicain. Sans oublier toutefois d'équiper sa cuisine de casseroles en cuivre estampillées « Bazar de Paris » ou de décorer son salon quasi nu d'un bronze de Rodin, « La Main de Dieu », un achat d'impulsion à plus d'un millier de dollars.
Le 26 février 1959, au consulat de France à New York,
Marilyn reçoit l'Etoile de Cristal décernée par l'Académie française du cinéma
des mains de son président Georges Auric, en présence du consul, Raymond Laporte (à gauche).
© PAUL SLADE/PARISMATCH/SCOOP
Lorsqu'elle s'avance le 19 mai 1962, sur la scène du Madison Square Garden pour entonner « Happy Birthday » à John Fitzgerald Kennedy, Marilyn entre dans l'histoire du XXe siècle. Impossible pour l'assistance qui la regarde scintiller sous les projecteurs dans une robe de sirène, d'imaginer que dans trois mois elle succombera à une overdose de barbituriques. Tous ignorent également que cette robe hallucinante, portée pour son ultime apparition, est composée de gaze de soie grège (venue de France !) rehaussée de 2.500 cristaux cousus à la main. Et que son créateur, Jean-Louis Berthault, ancien chef costumier de la Columbia puis d'Universal Pictures désormais à son compte, était Français, né à Paris et sorti diplômé de l'Ecole des Arts décoratifs à la fin des années 1930.
Marilyn Monroe Estate, un business juteux
Lorsqu'elle meurt à 36 ans, en 1962, Marilyn Monroe laisse un testament dont les principaux bénéficiaires sont sa mère Gladys, sa demi-soeur Berniece, sa secrétaire May Reis et son professeur d'art dramatique Lee Strasberg. Une phrase va cependant permettre à ce dernier de rafler le vrai trésor caché de la succession. En plus de lui attribuer 75 % de la propriété intellectuelle qu'elle détenait sur certains de ses films qu'elle avait coproduits, à la clause 4 du document, l'actrice a en effet indiqué : « Je lègue tous mes effets personnels et vêtements à Lee Strasberg, mon souhait étant qu'il répartisse ces derniers comme bon lui semble entre mes amis, mes confrères et ceux à qui je tiens. » Lee va bien vider intégralement l'appartement de New York et la maison de Brentwood de la star. Mais, au mépris de la volonté exprimée, les milliers d'articles vont être stockés dans d'immenses garde-meubles new-yorkais et ne seront jamais redistribués aux proches et collègues de Marilyn. En 1982, Lee Strasberg meurt à son tour et sa seconde épouse, Anna Strasberg, qui n'a jamais connu l'actrice, hérite des biens et droits de la star. Elle charge l'homme d'affaires californien Roger Richman d'exploiter le nom et l'image de la star. Il développe la marque Marilyn Monroe de 1983 à 1995 en signant des contrats lucratifs, notamment avec les magasins Bloomingdale's. Mais, en 1996, Anna Strasberg remercie Richman et confie le Marilyn Monroe Estate à CMG Worldwide, qui règne sur le business des stars disparues et multiplie les contrats de licence.
En 1999, Anna Strasberg confie à Christie's le soin d'organiser la vente aux enchères des effets personnels de Marilyn. La vente du siècle permet à la veuve d'empocher un total de 13,4 millions de dollars, dont plus de 1,2 million pour la célèbre robe brodée de sequins du « Happy Birthday » à JFK.
Après une belle opération avec Le Seuil en 2010, à qui elle confie le soin de publier un recueil de textes et poèmes tirés des archives de Marilyn, Anna Strasberg cède en 2011 ses droits de propriété intellectuels liés à la star au groupe Authentic Brands pour un montant non communiqué estimé entre 20 et 30 millions de dollars.
Après les pièces nobles (costumes, robes griffées, scénarios annotés, mobilier, fourrures et bijoux), Anna Strasberg disperse régulièrement ce qu'il lui reste des effets personnels de Marilyn (dont une montagne de paperasse comptable) dans des ventes aux enchères. Spécialiste de la « memorabilia », la maison Julien's Auctions de Beverly Hills organise ainsi chaque été une vente intitulée « Hollywood Legends » où tout ce qu'a un jour touché Marilyn s'envole à prix d'or. Toaster, tube de rouge à lèvres et casse-noisettes inclus. La prochaine vente se tient ces 15 et 18 juillet (*) et offre aux collectionneurs (ou investisseurs) la possibilité de remporter, entre autres, un chèque signé en 1952 par Marilyn à la pharmacie Schwab's (estimé entre 3.000 et 5.000 dollars), une note manuscrite de dix lignes adressée à Lee Strasberg (estimation 6.000-8.000 dollars) ou encore un carreau de faïence issu de la salle de bains de la dernière demeure de la star (estimation 1.000-2.000 dollars).
(*) www.julienslive.com
Marilyn et la France, les occasions ratées
Francophile dans l'âme, Marilyn Monroe n'aura jamais foulé le sol français.
En juillet 1956, lorsqu'elle quitte les Etats-Unis pour l'Europe, c'est pour tourner en Angleterre « Le Prince et la Danseuse », adaptation d'une pièce de Terence Rattigan dont elle a acquis les droits, confiant la réalisation et le rôle principal à ses côtés à Laurence Olivier. Elle se promet de suivre son époux, Arthur Miller, qui doit faire un saut à Paris rencontrer Yves Montand et Simone Signoret qui adaptent « Les Sorcières de Salem ». Mais la mésentente entre Marilyn et Laurence Olivier plombe le tournage qui s'enlise à Londres, Miller ira seul à Paris.
Le 7 mars 1958, Simone Noir de chez Christian Dior pense savoir que Marilyn Monroe s'apprête à venir à Paris. Elle adresse un courrier à l'actrice lui indiquant qu'elle se réjouit de sa venue et qu'elle espère que Marilyn se rendra à la boutique Dior en dépit de son planning chargé. Naturellement, « nous pouvons venir vous montrer des modèles à votre hôtel », précise-t-elle, en joignant une liste de prix. Marilyn ne se rendra pourtant jamais au 30 avenue Montaigne. Et pour cause, invitée en avril 1958 par l'Académie française du cinéma à se voir décerner à Paris l'Etoile de Cristal de la meilleure interprète étrangère, elle recevra in fine son trophée le 26 février 1959… au consulat français de New York des mains du compositeur Georges Auric, venu pour l'occasion.
Quant au Festival de Cannes, s'il convie très officiellement Marilyn Monroe dès 1955 en s'adressant à son attaché de presse Rupert Allan puis à son associé Milton H. Greene, malgré tous les efforts déployés, chacune de ses tentatives fut hélas infructueuse.
En 1960, c'est Joséphine Baker, présidente du gala de l'Union des artistes, qui convie Marilyn à exécuter « devant le Tout-Paris » un numéro de cirque « insolite » à l'occasion du 30e anniversaire du gala. « Vous savez combien Paris vous aime et combien les acteurs français seraient fiers de vous accueillir », précise-t-elle dans sa lettre en français adressée au « Beverly Hills Hotel ». Sa destinataire notera sur un mémo en réponse son regret de ne pouvoir participer à l'événement le 4 mars 1960 pour cause de tournage d'un film. Marilyn en dompteuse, acrobate ou meneuse de revue sur la piste du Cirque d'Hiver Bouglione ? La France aurait en effet adoré.
Les objets personnels de Marilyn ont la cote
1. La robe « Happy Birthday à JFK » : 4,81 millions de dollars lors de sa seconde vente, le 17 novembre 2016, par Julien's.
2. Une bague platine et diamants offerte par Joe DiMaggio (qu'elle épousa en 1954) : 772.500 dollars chez Christie's.
3. Son piano d'enfance : 662.500 dollars chez Christie's.
4. Une robe portée dans « La Rivière sans retour » : 526.000 dollars chez Julien's.
5. Une lettre adressée par Joe DiMaggio en 1952 : 525.000 dollars chez Christie's.
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Les Echos Week-End 20/05/2022
Les Echos Week-End
n°23712
pays: France
parution le vendredi 20 mai 2022
Le supplément magazine vendu avec l'édition du journal le vendredi
Article de 1/2 pages
Les sept dernières années de la vie de Marylin Monroe par le poète Norman Rosten
> en ligne sur lesechos.fr
Dans « Marilyn, ombre et lumière », le poète américain Norman Rosten brosse un portrait délicat de Marilyn Monroe durant les sept dernières années de sa vie. En 120 pages, il révèle toute la générosité, la beauté, l'intelligence et la fragilité de la divine étoile. Morte du mal d'amour.
Marilyn Monroe photographiée dans la propriété de son mari, l'écrivain Arthur Miller(circa 1957).
(©Zumapress / Bridgeman Images)
Le mythe de Marilyn Monroe (1926-62) a suscité moult littérature : essais, biographies ou romans, comme l'impressionnant « Blonde » de Joyce Carol Oates. Mais l'ouvrage le plus délicat et le plus poignant sur la star hollywoodienne est sans doute « Marilyn, ombre et lumière » de Norman Rosten (1913-95). Publié en 1974, il vient tout juste d'être traduit en français. Le poète américain, ami d'Arthur Miller, n'a pas voulu écrire de biographie de l'actrice. Il raconte les sept dernières années de sa vie, à compter du jour où il l'a rencontrée un jour de pluie à New York, accompagnant un ami photographe. Rosten et sa femme mettent un moment pour comprendre que la jeune femme timide et trempée qui s'est assise dans leur salon est Marilyn Monroe. S'ensuit une profonde amitié, qui les unira jusqu'à la fin.
Au gré d'anecdotes inédites et de conversations, se révèlent toute la générosité, l'intelligence et la fragilité de la star. Et surtout sa quête d'amour désespérée. Rosten nous fait revivre sa passion, vite consumée pour Arthur Miller, avec qui elle restera mariée six ans, sa brève et tendre « love affair » avec Yves Montand… et à chaque fois ce sentiment d'échec qui la submerge. Marilyn cherche la perfection en tout. Elle prend très aux sérieux ses cours à l'Actor Studio, rêve de jouer au théâtre, s'interroge sans cesse sur le métier d'actrice.
Un naturel confondant
Elle s'essaie, humblement, à la poésie (aux vertus thérapeutiques). Et cultive un naturel confondant. Dans son comportement sans filtre avec ses amis et ses proches, mais aussi dans sa façon décomplexée d'assumer son vedettariat. Parfois, l'hystérie qu'elle suscite frôle le drame. Comme cette baignade sur une plage où elle manque de se noyer en voulant échapper à une horde de jeunes gens excités.
Patchwork saisissant d'une vie de star, ce bref ouvrage, merveilleusement écrit, s'achève de manière poignante sur l'échange téléphonique survolté de Marilyn avec Rosten la veille de son suicide. Le poète se désole de n'avoir su déceler l'appel à l'aide de son amie, minée par le doute, la solitude et le manque d'amour. L'ombre a emporté Norma Jean Baker… Norman Rosten, pendant 120 pages rallume la lumière.
Philippe Chevilley
« Marilyn, ombre et lumière », Norman Rosten. Traduit par François Guérif. Editions Seghers, 128 p., 116 euros.
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copyright text Les Echos
Les Echos 10/05/2011
Un article sur le livre Une blonde à Manhattan, publiant des photographies d'Ed Feingersh, dans le journal Les Echos du 10 mai 2011.
Supplément Les Echos 10/12/2010
Le supplément du journal Les Echos du 10 décembre 2010, consacrait un article sur le thème du Rouge en publiant une photographie de Marilyn Monroe tirée du film Gentlemen Prefer Blonds.
Les Echos 20/09/2010
Un article sur la mode du Vintage dans le journal Les Echos du 20 septembre 2010 qui cite le pull que Marilyn Monroe porte dans Let's Make Love acheté aux enchères par Gérard Darel en 1999, et qui a sorti ce modèle cette année, représentée par l'actrice Robin Wright.
Les Echos 4/06/2010
Un article sur une exposition sur le voyeurisme à londres, illustré d'une photographie de Marilyn Monroe, dans le journal Les Echos du 4 juin 2010.
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mag_LesEchos04juin2010
Les Echos 5/05/2010
Le journal Les Echos du 5 mai 2010 contient un article "Terminus Nevada" sur le film The Misfits.
Terminus Nevada
[ 05/05/10 ]
"Les désaxés"
avec Marilyn Monroe, Clark Gable, Montgomery Clift, Eli Walach. 1960. 2 h 05. Sortie le 12 mai.
Un soir, John Huston emmena Marilyn dans un casino de Reno. En lui glissant une paire de dés dans la main, il murmura : « Ne réfléchis pas petite, lance-les. C'est l'histoire de ta vie : n'y pense pas, fais-le. » Ils tournaient alors « Les Désaxés », un film où chacun jouait sa dernière partie.
Roselyn (Marilyn) est une actrice de seconde zone. De passage dans le Nevada, elle tombe amoureuse d'un vieux macho plein de charme nommé Gay (Clark Gable). Avec un pilote d'avion (Eli Walach) et un as du rodéo (Montgomery Clift), ils partent dans le désert capturer des chevaux sauvages. Roselyn s'aperçoit vite que ces bêtes magnifiques sont destinées aux rayons nourriture pour chien des supermarchés. Révoltée, elle décide de rendre aux chevaux leur liberté.
Fin de partie
Ce fut donc la dernière partie pour Marilyn Monroe et Arthur Miller. Ce scénario, il l'avait écrit pour elle, pour ressouder un mariage qui s'effritait. Il était déjà trop tard. Elle demanda le divorce à la fin du film, le dernier qu'elle eut la force d'achever. Elle mourut deux ans plus tard. Seule avec ses médicaments. Ce fut la dernière partie pour Clark Gable. La légende des studios était fatiguée et gravement malade. Les prises de vue en plein cagnard, dans la poussière du désert Pyramid Lake, lui furent fatales. Le séducteur buriné s'éteignit une dizaine de jours après la fin du tournage. Il ne vit jamais le film.
La poésie des « Désaxés » vient précisément de cette atmosphère de terminus que Huston capte si bien dans le paysage dénudé. Chasseurs et proies auront le même destin. Gay et ses potes disparaîtront avec les mustangs sauvages. Brisé par un accident, mal recousu par la chirurgie plastique, le visage de Monty Clift ressemble déjà à un masque mortuaire. Chaque plan traduit la détresse de Clark Gable et le désespoir de Marilyn Monroe. Mythes à bout de souffle, ils incarnent les ultimes spasmes de l'âge d'or des studios. Les « désaxés » sont les rebuts de l'Ouest sauvage. Le noir et blanc en fait des spectres. Sans doute sentent-ils que les années 1960 ne voudront jamais d'eux. « Où irons-nous ? », demande Marilyn à Gable à la fin du film. « On va suivre cette étoile, répond le vieux cow-boy, là juste au-dessus de nos têtes. Elle mène tout droit chez nous ».