Vanity Fair France 08/2022
Vanity Fair
n°103
pays: France
numéro d'août 2022
parution: 27 juillet 2022
prix: 4,90 €
Marilyn Monroe en couverture: le mythe Marilyn renaît sur Netflix
Article intérieur de 18 pages.
Le mythe Marilyn à l'épreuve de Netflix
> Par Olivier Bouchara; en ligne sur vanityfair.fr
Vanity Fair vous emmène en exclusivité dans les coulisses du film événement de Netflix, Blonde, avec les confidences de Joyce Carol Oates.
Il existe mille bonnes raisons de revoir Certains l’aiment chaud (1959) : admirer le génie comique de Billy Wilder, voyager en train couchette avec une fiole d’eau-de-vie cachée dans les socquettes, ou revivre une énième fois le tango endiablé entre Jack Lemmon et ce vieux Joe E. Brown, lorsque chacun tente d’imposer sa cadence à l’autre sur fond de quiproquo amoureux. J’en ajoute ici une nouvelle : le plaisir de réécouter le dialogue entre Marilyn Monroe et Tony Curtis. S’en souvient-on? La malheureuse meneuse de revue pense avoir enfin trouvé l’héritier de ses rêves, là par hasard sur la plage, et elle entreprend de le ramasser comme un coquillage avec cette espèce de candeur mêlée de sex-appeal :
« Vous ai-je déjà croisé quelque part ? lui demande-t-elle.
– Probablement pas.
– Vous descendez à l’hôtel ?
– Pas du tout.
– Votre visage m’est familier.
–Vous m’avez peut-être vu dans les journaux ou les magazines comme Vanity Fair.
– Oui, c’est forcément ça », souffle-t-elle, rêveuse.
Drôle de clin d’œil du paradis : soixante ans presque jour après jour après sa mort, c’est elle qui vit plus que jamais dans nos esprits et dans nos pages, jusqu’à la « une » de ce numéro – vous aurez reconnu une photo de la séance réalisée par Douglas Kirkland en novembre 1961. Il y a bien sûr une explication éditoriale à ce choix de couverture très sixties : à la rentrée, Netflix va enfin diffuser Blonde, le biopic sur Marilyn Monroe aussi annoncé que redouté, et il me semblait nécessaire de vous en livrer les secrets. Privilège de Vanity Fair : notre journaliste, Sylvie Bommel, a pu découvrir une version quasi finale du film début juin, en secret, dans le sous-sol d’un hôtel parisien. Elle s’est ensuite entretenue avec le réalisateur Andrew Dominik et la romancière Joyce Carol Oates, auteure du best-seller éponyme qui a inspiré le scénario. Lisez son récit,c’est vertigineux. On y parle de cinéma, mais aussi de pouvoir, de séduction et de la représentation de la femme au XXe siècle, laquelle n’a pas tant évolué que cela avec le temps. « Je n’aurais jamais pensé qu’un metteur en scène homme puisse autant s’immerger dans la conscience féminine, confie Joyce Carol Oates. Blonde est un film féministe. »
Nous y voilà. Si le destin de Norma Jean Baker ne cesse de nous fasciner, c’est parce qu’il revêt une dimension universelle. Combien de petites filles délaissées par leur père adoré se sont jetées dans les bras du premier garçon venu et s’y sont vite ennuyées, écrit notre journaliste. Et combien de femmes ont été un jour flattées de séduire un homme avec leur cerveau avant de découvrir qu’une autre partie de leur corps l’intéressait au moins autant.
Me revient à l’esprit une anecdote racontée par le poète Norman Rosten dans Marilyn, ombre et lumière, un hommage à son amie publié en mai dernier par les éditions Seghers. Un jour, Marilyn confie à un critique de cinéma son désir de jouer Grouchenka, le personnage féminin central des Frères Karamazov. « Ah bon, et comment vous écrivez son nom ? tente de la piéger le petit malin.
– Cela commence par un G », répond-elle avec esprit.
Comme en écho à cette histoire, Blonde la met en scène à table avec son écrivain de mari, Arthur Miller, qui fait mine de l’écouter au sujet de son prochain livre. Marilyn n’est pas dupe, et on l’entend alors murmurer : « Il se demandait seulement quelles choses obscènes et désespérées cette bouche avait faites. » Bonne lecture.
Marilyn, le film qui bouscule la légende
> Par Sylvie Bommel; en ligne sur vanityfair.fr
> article in english on vanityfair.com
C’est l’événement de la rentrée sur Netflix : la sortie de Blonde, avec Ana de Armas dans le rôle de Marilyn Monroe. Sylvie Bommel a pu voir une première version de ce biopic si attendu, puis s’est entretenue avec le réalisateur Andrew Dominik et l’auteure Joyce Carol Oates. Alors, shocking ?
Ana de Armas avec Adrien Brody dans le rôle de l'écrivain Arthur Miller, le troisième et dernier mari de Marilyn.
2022 © Netflix
À quoi tient un mythe ? N’eut-elle abusé des eggnog punchs et des barbituriques, Marilyn Monroe serait peut-être encore de ce monde. Elle aurait 96 ans, l’âge de la grand-mère, voire de l’arrière-grand-mère de nombre d’abonnés de Netflix pour qui Marilyn, sa vie, son corps, son œuvre, c’est de l’histoire aussi ancienne que le plan Marshall. Parions pourtant qu’ils se précipiteront en septembre pour découvrir Blonde, un long-métrage très attendu dans tous les sens du terme, puisque la plate-forme américaine de streaming a annoncé sa production en 2016.
Image du tournage de Blonde.
Ici, le réalisateur Andrew Dominik tente de reproduire à l'identique
une célèbre photo du couple Marilyn Monroe - Joe DiMaggio.
Matt Kennedy / Netflix © 2022
Andrew Dominik, le metteur en scène, mûrit ce projet depuis une quinzaine d’années, ce qui lui a laissé le temps de changer deux fois d’actrice principale avant de retenir l’Hispano-Cubaine Ana de Armas. Soit par ordre de non-apparition à l’écran : Naomi Watts et Jessica Chastain. En toutes choses, ce Néo-Zélandais qui partage sa vie entre Los Angeles et l’Australie aime réfléchir avant d’agir. C’est donc par mail qu’il a préféré répondre à mes questions. Dont celle-ci à laquelle il fallait penser (ne me félicitez pas) : « Mais pourquoi donc un film sur Marilyn ? » June 10, 2022. From Andrew to Sylvie : « I saw an opportunity to describe an adult life through the lens of mistaken childhood beliefs & trauma. » (« J’avais envie de décrire une vie d’adulte à travers le prisme des traumatismes et des croyances erronées de l’enfance. ») Preuve est ainsi faite qu’une réponse intéressante peut surgir d’une question anodine.
Adulée, convoitée, désirée… mais jamais comblée
Reprenons. Tout avait mal commencé le 1er juin 1926 à Los Angeles pour la petite Norma Jeane Baker, un nom qu’elle préférait à celui que lui imposera Ben Lyon, un producteur de la 20th Century Fox certain que l’allitération en M lui porterait chance. Enfant non désirée d’un géniteur mal identifié, dont on sait seulement qu’il s’évanouit dans la nature avant même sa naissance, et de Gladys, une femme instable qui sera bientôt diagnostiquée schizophrène paranoïde, Norma passe la majeure partie de son enfance entre familles d’accueil et orphelinat. Voilà pour le traumatisme évoqué par le réalisateur. Quant à la croyance erronée, c’est celle insufflée par Gladys selon laquelle le père absent était aussi beau que Clark Gable, qu’il avait toujours la photo de sa fille chérie dans son portefeuille et qu’un jour, sûrement, il viendrait l’embrasser. Nul besoin d’avoir écouté intégralement les vingt-sept séminaires de Lacan pour comprendre que Norma Jeane (dont le « e » sautera à l’adolescence), qui appelait ses maris par le doux surnom de Daddy, était en recherche de figure paternelle protectrice. On comprend mieux pourquoi elle susurrait si sensuellement dans Le Milliardaire et en français dans le texte : « Mon cœur est à papa, you know le propriétaire... »
Ana de Armas, entourée de Xavier Samuel (dans le rôle de Charlie Chaplin Jr)
et d'Evan Williams (qui joue le fils d'Edward G. Robinson).
Matt Kennedy / Netflix © 2022
Blonde n’est pas un biopic classique, un genre qui héroïse trop souvent le personnage-sujet en illustrant les épisodes les plus extraordinaires de sa vie. Blonde conte plutôt un destin qui, à quelques détails près, pourrait être celui de la première venue : une femme en quête d’amour va devenir une grande séductrice. Aidée par sa plastique et un sex-appeal inné (c’est moins courant, je le concède), elle sera adulée, convoitée, désirée, possédée par de nombreux amants, dont le rpésident de son pays. Mais jamais comblée pour autant, jusqu’à sa mort à l’âge de 36 ans.
« Marilyn était si peu sûre d’elle, si exigeante, que c’était difficile pour quiconque de l’aimer et même de l’aider »
Le scénario est adapté du best-seller paru en 2000 et également titré Blonde, de Joyce Carol Oates, la grande écrivaine américaine deux fois nominée pour le prix Nobel de littérature et lauréate du Femina étranger pour Les Chutes en 2005. Blonde s’inspire de la vie de l’actrice, mais se revendique comme un roman et en aucun cas une biographie. Au téléphone, Joyce Carol Oates m’explique d’ailleurs que Marilyn Monroe, c’est un peu Emma Bovary à Hollywood. « Toutes les deux sont des jeunes femmes qui ont une vision très romantique et probablement irréaliste de l’amour. Marilyn était si peu sûre d’elle [unsecure, en anglais], si exigeante, que c’était difficile pour quiconque de l’aimer et même de l’aider. Beaucoup d’hommes, dont son deuxième mari, le joueur de base-ball Joe DiMaggio, ont essayé pourtant avant de reculer, effrayés. »
La chorégraphe Denna Thomsen et Ana de Armas sur le tournage de Blonde.
Matt Kennedy / Netflix © 2022
J’ai vu une version quasi finale de Blonde un matin de juin dans la salle de projection privée d’un hôtel parisien. Quasiment seule face au grand écran, escortée par trois représentants de Netflix pour s’assurer que mon téléphone restait bien dans mon sac, et dans le but de préparer mes entretiens avec le réalisateur et Joyce Carol Oates. Oui, oui, avant les plus famous des Hollywood reporters, ceux qui, de la fenêtre de leur bureau, peuvent admirer le soleil se coucher sur le bien nommé Sunset boulevard avant d’aller boire une Bud ou deux au bord de la piscine de Brad Pitt. Petite précision à l’intention des suspicieux (je ne les blâme pas, on voit tant de choses pas nettes-nettes de nos jours) : je n’ai reçu aucune enveloppe ni signé aucun document m’enjoignant en échange de ce privilège extraordinaire à aimer ce film et à le faire savoir. Mais je le jure sur la tête de toutes les blondes de ma famille, moi comprise, Blonde est un film qui m’a « embarquée » pour parler comme les critiques de l’émission « Le masque et la plume ». Autre formulation : je ne me suis pas ennuyée une minute des 166 que dure le film.
Retrouvez la suite du récit de Sylvie Bommel dans le numéro 103 de Vanity Fair, en kiosques le 27 juillet 2022
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