Critique de La rivière sans retour
Article publié par Otis B. Driftwood
en ligne sur DvdClassik.com
Réalisé par Otto Preminger
Avec Robert Mitchum, Marilyn Monroe, Tommy Rettig, Rory Calhoun, Murvyn Vye, Douglas Spencer, Will Wright, Arthur Shields...
Scénario de Frank Fenton d’après une histoire de Louis Lantz
Musique de Cyril J. Mockridge
Chansons de Ken Darby (lyrics) et Lionel Newman (musique)
Photographie Technicolor et Cinémascope de Joseph LaShelle
Montage de Louis R. Loeffler
Chorégraphie de Jack Cole
Produit par Stanley Rubin pour 20th Century-Fox
Distribué par 20th Century-Fox
Durée cinéma 91’
DVD 9
Zone 2
Edité par 20th Century-Fox Home Entertainment
Format 16/9 compatible 4/3 2.55 :1
Langues : Anglais Dolby Digital 4.0, Français, Allemand, Espagnol et Italien stéréo
Sous-titres : Français, allemands, anglais pour malentendants, espagnols, italiens et néerlandais
Durée DVD 88’
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1875, quelque part dans les Rocheuses de l’Ouest américain. Matt Calder est un ancien détenu récemment libéré de prison qui aspire à la paix de la vie de fermier en compagnie de son fils Mark, neuf ans, qui ne le connaît pas. L’enfant a récemment perdu sa mère et vivote dans la jungle humaine d’un camp de chercheurs d’or transformé en cité champignon constituée de baraquements de fortune et de toiles de tentes. La chanteuse du ‘‘saloon’’ local, Kay, l’a plus ou moins recueilli. Kay et son amant Harry Weston, un joueur, rêvent tous deux d’une autre vie. L’occasion se présente lorsque Weston prétend avoir gagné une concession minière. Mais les circonstances sont des plus douteuses, et l’aventurier tient à faire enregistrer sa nouvelle propriété au plus vite à Council City. Malheureusement il lui est impossible de trouver un cheval, et, méconnaissant le danger, il décide avec Kay de rallier Council City en radeau. Avant d’embarquer, Harry et Kay se marient. Mais dès les premiers rapides le couple est en difficulté et ne doit son salut qu’à l’intervention de Matt et de Mark. Pour tout remerciement Calder se voit assommé et dépouillé de son cheval et de son fusil par celui à qui il refusait de céder sa monture, si précieuse en ces temps de résurgence de la menace indienne. Choquée par le comportement de son mari, Kay choisit de rester pour soigner la blessure de leur sauveteur, arguant que, de toute façon, Harry rejoindra plus vite le bureau d’enregistrement des concessions sans elle. Elle le rejoindra plus tard. Ce qu’elle ignore, c’est que les Indiens sont sur le pied de guerre. Matt, Kay et Mark, avec pour seules armes une hache et un malheureux couteau, doivent se résoudre à fuir à bord du radeau et défier les dangers de ce fleuve que les Indiens nomment... La rivière sans retour...
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River of no return tient une place à part dans la filmographie d’Otto Preminger, et pas seulement parce qu’il s’agit de sa seule incursion dans le genre alors triomphant du western. Il s’agit d’une commande de Darryl Zanuck au réalisateur le plus prestigieux de son studio à cette date (1953) après le départ de Joseph L. Mankiewicz l’année précédente. Mankiewicz a définitivement dit non au système des studios après Five Fingers mais n’a pas encore livré son premier film indépendant (ce sera The Barefoot Contessa). Preminger quant à lui a profité des largesses du mogul, autrefois son adversaire déclaré et désormais son plus puissant supporter : il a pu mener à bien son premier projet indépendant, The moon is blue, distribué par United Artists. Et avec quel succès ! Néanmoins il doit encore quelques années de contrat et la livraison d’au moins un film à la Fox. Les années de contrat, il les rachètera. Mais il n’est pas en mesure de refuser cette commande un peu particulière : pour la première fois depuis Forever Amber en 1947, il ne sera pas son propre producteur délégué. Même dans le cadre de son prêt à Howard Hughes, un an plus tôt pour le tournage d’Angel Face dans les studios de la RKO, il avait conservé ces prérogatives.
Pourquoi Zanuck exige-t-il la collaboration de son protégé pour ce western ? Parce que le film doit asseoir la popularité ascendante de Marilyn Monroe, dont les succès coup sur coup dans Niagara de Henry Hathaway, dans Gentlemen prefer blondes de Howard Hawks et, triomphale, dans le pourtant très médiocre How to marry a millionnaire de Jean Negulesco viennent de faire rentrer beaucoup d’argent dans les tiroirs-caisses de la 20th Century-Fox.
Après tout, l’occasion de diriger la nouvelle merveille du studio ne se refuse pas et l’idée de profiter d’un tournage en extérieur sur les sites grandioses de la province canadienne de l’Alberta n’est pas pour déplaire au réalisateur. Et surtout, c’est l’occasion pour lui de retrouver Robert Mitchum, un comédien qu’il apprécie tout particulièrement depuis leur collaboration sur Angel face. Un Robert Mitchum qui, lui, semble moins enthousiaste. Il ne se lassera jamais de qualifier ce western de Picture of no return !
Au premier abord, l’histoire de River of no return semble nettement plus marquée par les thèmes chers au scénariste Frank Fenton que par les obsessions premingeriennes. Nous relèverons la récurrence de l’itinéraire physique bien sûr, qui privilégie les dangers naturels aux menaces humaines (indiennes) et qui renvoie à The wild north d’Andrew Marton qu’interprétaient Wendell Corey, Stewart Granger et Cyd Charisse et surtout à cet autre sommet, Garden of evil de Henry Hathaway avec le trio Gary Cooper, Susan Hayward et Richard Widmark. Et de façon plus ostentatoire encore, nous retrouvons ce recours à la structure du trio dans lequel la femme est tiraillée entre une fidélité presque masochiste à son compagnon et une attirance physique irrépressible pour un homme que tout, à priori, semble séparer d’elle : Garden of evil encore, et surtout Ride, vaquero ! de John Farrow, western baroque doublé d’une allégorie religieuse dans lequel, pour le salut de son époux Howard Keel, Ava Gardner était tout proche, devant les yeux du ténébreux Robert Taylor dont elle était pourtant déjà éprise, de s’offrir au bandit Anthony Quinn. Marilyn n’agira pas si différemment ici lorsqu’elle entreprendra - sans trop avoir à se forcer au regard des sentiments qu’elle a déjà manifestement commencer à développer à son endroit - de séduire le placide Robert Mitchum, espérant ainsi le distraire de son obsession de vengeance. Il serait plus exact de dire : d’allumer le pauvre Mitchum, jusqu’à lui faire perdre la tête et de risquer un viol brutal, tout juste interrompu par les cris d’alarme de Mark.
Là réapparaît la "Preminger’s touch" : dans cette franchise sensuelle, dans cette transparence du style mettant à nus les corps comme les âmes. Matt Calder n’est pas que l’icône d’une sagesse exemplaire jetée en pâture au regard admiratif de son fils ; c’est avant tout un homme au passé troublé par un incident tragique, tentant de se reconstruire, psychologiquement et physiquement. Et comme tout héros participant du mythe de Robert Mitchum, c’est un homme qui ne se confie pas ; ni morphologiquement, ni bien sûr verbalement. Mais lorsqu’il se jette sur Marilyn pour l’immobiliser et la prendre de force au cours d’une séquence très peu suggestive qui évoque à plus d’un titre l’interception et la maîtrise de Dorothy Dandridge par Harry Belafonte dans le futur Carmen Jones, c’est toute la dualité de son personnage, ses frustrations d’homme reclus par plusieurs années d’emprisonnement, qu’il exprime avec une évidence patente et indélébile. Et ce n’est que lorsque Mark aura appréhendé cette évidence et accepté son père avec ses forces et ses faiblesses, que son apprentissage filial sera achevé.
‘There is a River
Called the River of No Return.
Sometimes it’s peaceful,
And sometimes wild and free.
Love is a traveller
On the River of No Return,
Swept on forever
To be lost
In the stormy sea.’
Rarement une ballade aura si parfaitement illustré l’étoffe du film dont elle agrémente la vision. Il y a peu d’action dans ce western nonchalant, et encore moins sous la forme de fusillades. Un puma, un duo de prospecteurs se dresseront sur le parcours du trio, puis enfin les Indiens, juste avant le face à face final à Council City, lui-même tronqué : une empoignade de plus, un coup de feu hors champs et ce sera terminé. C’est à peu près tout. Le reste du temps, comme pour The Big Sky de Hawks, comme pour Wagon Master de Ford ou pour le trop méconnu Across the wide Missouri de Wellman, le récit se perdra en méandres et digressions dédramatisées, contemplatives et sensuelles, faisant avec un même bonheur un sort aux corps qui se livrent dans l’effort et aux âmes que la rivière, éternelle source purificatrice du western (Bend of the river, The naked spur), se chargera de laver de leurs préjugés. Le dialogue lui-même se pare parfois d’une poésie solaire des plus inattendues dans le genre :
- I had to get money to get out. When I met Harry he wanted the same thing. Then he won the claim. It was our big chance ; a chance for both of us to get away.
- Where ?
- Out of the lives we were both living. Some place where people live like human beings.
- That’s in Heaven...
- We weren’t thinking of going quite that far with it.
Au terme de cet itinéraire, épuisant mais rédempteur, Matt et Kay auront appris à se défaire de cette défiance d’autrui qui les coupe du monde, et à se défaire de cette pudeur qui les empêche de s’avouer leur amour mutuel.
La merveilleuse alchimie du couple Mitchum - Monroe est pour beaucoup dans le ton heureux et serein de ce beau récit d’apprentissage ; la quiétude, la force tranquille et naturelle émanant du grand Bob, ici dans un emploi sur mesure, offrant un contrepoint parfait à la fragilité refoulée de Marilyn. Il est de notoriété publique que l’actrice s’entendit très mal avec son réalisateur, Preminger allant jusqu’à déclarer que "diriger Marilyn, c’est comme diriger Lassie ; il faut faire quatorze prises pour obtenir l’aboiement adéquat" ! Mais les exemples d’antipathie entre le réalisateur viennois (qui sera néanmoins beaucoup plus patient avec une autre comédienne en proie au doute, Kim Novak, sur le tournage de son admirable film sur la dépendance aux narcotiques, The man with the golden arm) sont légions, et dans son autobiographie, il s’en prendra surtout à la répétitrice de Marilyn sur le tournage, l’Allemande Natasha Lytess, coupable selon lui, non seulement de gâcher le naturel ébouriffant de la comédienne mais aussi de réussir à déstabiliser le très jeune et pourtant déjà très professionnel Tommy Rettig (Les 5000 doigts du Dr.T). Et Preminger de saluer l’initiative de Robert Mitchum, sachant ramener sa partenaire à plus de simplicité à grand recours d’encouragements et au besoin... de puissantes bourrades sur le dos !
Quoi qu’il en soit, il est permis de penser que la comédienne n’a jamais été ni meilleure ni plus désirable que dans ce western. Offerte sans fard à l’objectif caressant de Joseph LaShelle, elle s’y révèle pour la première fois – et peut-être la dernière - femme sous toutes ses facettes : tantôt femme enfant aveuglée par un premier amour factice ; tantôt piquante et séductrice ; tantôt maternelle face au petit Mark, le ravissant d’une merveilleuse complainte en plein air et rajustant sa tenue vestimentaire devant ses yeux, sans aucune fausse pudeur ; tantôt amante, découvrant ses sentiments au cours d’une scène de massage entrée dans toutes les mémoires cinéphiles, mais qui aurait été tournée par Jean Negulesco, après une preview publique assez désastreuse ; loin, très loin, de l’image de fausse ingénue désarmante et charnelle dans laquelle elle resta trop souvent enfermée. C’est peu dire que chacune des chansons qu’elle interprète, tour à tour songeuse (One silver dollar), provocante (I’m gonna file my claim), épanouie (Down in the meadow, donc) ou douloureusement nostalgique (la reprise finale de River of no return) est comme un petit moment de paradis cinégénique.
Western de la plénitude, il est évident que Rivière sans retour doit aussi beaucoup au style de caméra de son réalisateur, qui abordait le format du Cinémascope pour la première fois de sa carrière. Immédiatement conquis (hormis The man with the golden arm et Anatomy of a murder toutes les réussites ultérieures du cinéaste s’exprimeront à travers ce format ou celui, cousin, du SuperPanavision 70) Preminger l’utilise comme un écrin pour valoriser, dans de très amples et très lents mouvements d’appareils, la majesté irréelle de cette nature sauvage des Rocheuses, œuvrant avant tout sur la profondeur de champs pour donner un relief saisissant à ces gorges creusées par le torrent tumultueux ou pour conférer des dimensions sans fins à une vallée encaissée entre deux massifs montagneux. Filmant comme il respire, il sait aussi traduire l’effervescence de cette nouvelle Sodome et Gommorrhe (dixit le fidèle acteur fordien Arthur Shields dans son éternel emploi de prédicateur) que représente le camp de prospecteurs, découvert jusque dans les moindres strates offertes par l’accumulation géométrique des toiles de tentes dans le cadre, toutes grouillantes de vie, au rythme d’un travelling latéral effréné entrepris de droite à gauche après une courte hésitation et la retenue d’un cheval qui se cabre, surpris par la peur ; du grand art.
Après ce western de commande, Preminger vendra sa villa hollywoodienne pour racheter ses dernières années de contrat Fox à Zanuck, et s’exilera à New York, berceau de ses premiers succès américains dans le théâtre. Il livrera alors une série de chefs-d’œuvre amorcée dès le film suivant, Carmen Jones. Mais il ne reviendra malheureusement plus jamais au western. C’est fort dommage, car ne seraient-ce les inévitables transparences dues au sujet qui viennent parfois entacher la saisissante beauté de cet exaltant et très moral récit d’aventures, River of no return aurait sa place parmi les plus beaux fleurons du genre. Il s’en faut d’un rien.
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Au niveau de l’image, cette édition zone 2 a plus d’allure que de tenue véritable. Le master a été entièrement restauré en 1995, à l’occasion de l’édition du laserdisc par 20th Century-Fox. Cette restauration n’est pas parfaite. La colorimétrie et les contrastes font preuve d’une grande volatilité au détour de chaque séquence s’ouvrant et se fermant en fondu. Il faut parfois six à sept secondes de métrage avant qu’ils ne se stabilisent, comme dans le cas de ce plan de Mitchum transportant Marilyn, trempée et glacée, vers cette fameuse grotte où il la massera, nue sous sa couverture (chapitre 19). En dehors de ce problème de taille le master s’avère très lumineux, assez bien défini et sa propreté est sans reproche. Malheureusement, la compression s’avère fort décevante et porte atteinte à ces qualités. L’image est souvent instable et surtout, dans toutes les séquences en extérieur (évidemment nombreuses !) les arrière-plans fourmillent et pixellisent plus que de raison. La merveilleuse séquence dédiée à la chanson Down in the meadow en souffre ainsi malheureusement beaucoup au chapitre 11. De plus cette pixellisation intempestive porte atteinte à la définition dans les plans les plus mouvants : ainsi des arbres de la forêt détourés par un halo informe dans ce plan très éloigné lors de la descente des rapides au chapitre 14. Précisons toutefois que si l’image déçoit au regard des attentes légitimes soulevées par la splendeur naturelle de l’œuvre originale, elle reste néanmoins d’une qualité au-dessus de la moyenne. Pas d’alarmisme !
Le mixage sonore 4.0 de la bande son dédiée à la version originale se montre séduisant car enveloppant. C’est un vrai plaisir que d’écouter Marilyn nous susurrer ses ballades dans ces conditions. De même, les cœurs langoureux imaginés par Lionel Newman pour faire écho aux flots tumultueux de la rivière y puisent également une ouverture majestueuse. Nous serons néanmoins enclins à regretter la dispersion occasionnelle des dialogues sur les trois voies frontales. Cela reste néanmoins très épisodique et peu pénalisant dans l’ensemble.
Pour une fois la version française (stéréo) semble plutôt satisfaisante. Elle n’écrase pas totalement les bruits d’ambiance mais témoigne néanmoins d’un mixage très différent de celui de sa grande sœur anglaise. Ainsi, la V.O. fait-elle la part belle à l’accompagnement musical du piano mécanique au cours de la séquence où Kay retrouve Harry Weston dans sa loge au chapitre 7. Dans le V.F. par contre ce sont les murmures des clients dans la salle voisine du saloon qui sont mis en avant au détriment du piano. Les disparités de ce type sont légions, mais reconnaissons au moins une qualité à cette V.F. : elle se dispense, heureusement, de faire doubler Marilyn dans toutes les chansons. Compte tenu du nombre de trahisons offertes en ce domaine aux amateurs de comédies musicales par exemple (remember Gigi ?) cette précision n’est peut-être pas anecdotique...
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Les menus fixes, muets et franchement laids malgré la silhouette de Marilyn donnent accès au chapitrage (32 segments), au choix des langues et sous-titres et aux suppléments. Ceux-ci restent anecdotiques. Nous y retrouvons :
La bande-annonce originale non sous-titrée, très sombre, excessivement granuleuse et aux couleurs très érodées qui, ô suprême ironie, valorise les trois stars que sont Robert Mitchum, Marilyn Monroe et le Cinémascope alors naissant, mais nous est proposée dans un format rogné au 16/9 plein cadre.
Une comparaison visuelle avant et après la restauration de 1995, introduite par deux pages de texte en Anglais que l’éditeur n’a pas jugé utile de traduire... Autre problème, dans certains cas il est presque impossible de constater à l’écran l’amélioration apportée par ladite restauration... (durée du document : 1min27)
Une galerie de vingt photos d’exploitation et still shots, dont la plupart sont en noir et blanc. Les quelques photogrammes couleurs en présence s’avèrent particulièrement flétris.