"Marilyn était plus belle encore que je l'imaginais!"
Par Géraldine Catalano et Jérôme Dupuis (L'Express), publié le 17/11/2011, en ligne sur l'express.fr
"Pas mal pour 36 ans, non?", glisse la divine Marilyn Monroe entre deux photos.
Bert Stern
Quelques jours avant sa mort, Marilyn Monroe posait pour Bert Stern. Alors que ces clichés mythiques ressortent aujourd'hui agrémentés de textes de Norman Mailer, le célèbre photographe raconte en exclusivité à L'Express ces heures passées avec la star absolue.
Il est le dernier homme à avoir photographié Marilyn Monroe. C'était le 23 juin 1962, dans une suite de l'hôtel Bel-Air, à Hollywood. Six semaines plus tard, le jour même où ces clichés mythiques allaient paraître dans Vogue, la star des stars était retrouvée morte dans son lit. Bert Stern, 82 ans, photographe célèbre pour avoir réalisé l'affiche acidulée du Lolita de Kubrick, n'a jamais oublié ses trois séances avec Marilyn. Depuis un demi-siècle, il a précieusement gardé ses 2 591 clichés de l'icône blonde. Il les publie aujourd'hui dans un ouvrage exceptionnel - par son format, son luxe, son tirage (1 962 exemplaires) et... son prix (750 euros) - édité par Taschen et complété par des textes, en partie inédits en français, du grand écrivain Norman Mailer. Alors que le documentaire Becoming Bert Stern, signé Shannah Laumeister, sera présenté cette semaine au Festival international du film documentaire d'Amsterdam, en exclusivité pour L'Express, le photographe raconte les dernières heures de Marilyn devant l'objectif.
Comment devient-on le dernier homme à photographier Marilyn Monroe?
En juin 1962, j'étais à Rome sur le plateau de Cléopâtre, pour suivre Elizabeth Taylor, lorsque Vogue m'a appelé pour m'annoncer que Marilyn avait accepté de poser pour moi. Elle venait juste de se faire débarquer du tournage de Something's Got to Give par George Cukor [NDLR: pour ses absences répétées]. Le 23 juin, j'ai donc réservé une suite à l'hôtel Bel-Air et fait livrer trois bouteilles de champagne Dom Pérignon 1953, comme me l'avait demandé son agent. Nous avions rendez-vous à midi. Elle n'est arrivée qu'après 15 heures...
Première impression?
Elle était plus belle encore que je l'imaginais! Plus fine, aussi... Elle avait été opérée de la vésicule biliaire six semaines plus tôt et portait d'ailleurs une cicatrice au bas du ventre. Sa voix, aussi, m'a surpris: normale, moins artificielle ou exagérée que dans ses films. Surtout, Marilyn était incroyablement drôle, simple, créative. Elle s'est à peine maquillée. J'ai d'abord fait d'elle un portrait en noir et blanc à la Garbo. Puis, très vite, elle m'a demandé: "Voulez-vous que je me mette nue?" Je n'ai su que répondre: "Mais quelle bonne idée!"
Comment expliquez-vous cela?
Je crois tout simplement qu'elle se sentait belle et voulait le montrer. "Pas mal, pour 36 ans, non?" a-t-elle dit entre deux photos. Nous avons utilisé des foulards transparents pour "habiller" un peu sa nudité. J'ai travaillé avec Bardot, Madonna ou Audrey Hepburn, mais Marilyn a vraiment été la plus extraordinaire. Elle buvait le champagne, et j'ai remarqué que son maquilleur ajoutait un peu de vodka dans son verre. Les heures passant, elle est devenue plus provocante encore. Je n'avais pas besoin de lui faire des suggestions, elle inventait les poses toute seule. Nous avons continué jusqu'à 2 heures du matin.
Mais n'y avait-il pas une certaine tristesse sous cette gaieté?
Sur le coup, je n'ai rien remarqué de tel. Elle était vraiment de bonne humeur et comptait peut-être sur ces photos dans Vogue pour "relancer" sa carrière. Bien sûr, rétrospectivement, je devine une certaine fragilité sur certains clichés, notamment celui où elle porte une petite robe noire et se cache le visage avec les mains. Ce sont d'ailleurs mes préférés.
Pourtant, Vogue demandera à compléter cette première séance...
Oui, ils ont apprécié le travail, mais cela manquait un peu de mode, pour faire le portfolio dont ils rêvaient. Alors, quelques jours plus tard, nous avons organisé une deuxième séance avec Marilyn. Cette fois-ci, nous avions loué un petit bungalow de l'hôtel et apporté des robes noires de chez Dior. Comme la première fois, elle est arrivée avec deux heures et demie de retard. Cette fois-ci, j'avais commandé du château-lafite... Elle a posé pendant des heures et des heures avec les robes. Et puis, au bout d'un moment, j'ai demandé à l'équipe de sortir. Marilyn s'est enroulée, nue, dans un drap et s'est allongée sur un canapé. J'ai réalisé toute une série de clichés. Puis, elle s'est endormie, sans doute un peu sous l'effet de l'alcool, et je suis sorti.
Que sont devenues toutes ces photos par la suite?
L'agent de Marilyn avait exigé qu'elle puisse avoir un droit de regard sur les clichés. Je lui ai donc envoyé une grande partie des photos en couleurs et toutes les planches-contacts en noir et blanc, dont j'avais conservé les négatifs. Quelques jours plus tard, tout cela m'est revenu: Marilyn avait barré de très nombreuses photos de sa main, au feutre orange. Vogue a ensuite préparé son portfolio, sans sélectionner aucune des photos de nu.
Et puis...
Et puis, une semaine plus tard, j'étais en voiture avec ma fille, à New York. La radio était allumée et, soudain, ils ont annoncé la mort de Marilyn Monroe. J'ai eu un grand choc. J'ai tout de suite cru à la version selon laquelle sa mort était due à un accident, suite à une consommation de médicaments. Je le crois toujours. Vogue a décidé de maintenir le portfolio, qui est sorti quasiment le jour même.
On a dit que Marilyn Monroe avait tenté de vous téléphoner le jour de sa mort...
Oui, l'un de ses biographes l'a écrit. Je ne sais pas si c'est vrai. Mais, ce qui est sûr, c'est que si je l'avais eue au bout du fil, j'aurais tout fait pour l'aider.
Vue par Norman Mailer : "Un cyclone de beauté ambulante"
"Comme elle était également une star de cinéma - et une star habitée par la manie du secret la plus obstinée et la candeur la plus flamboyante, une arrogance hautement conflictuelle et un complexe d'infériorité torrentiel -, une grande philosophe populiste - comme elle aimait l'humble travailleur... - et la plus tyrannique des compagnes sentimentales, une reine des castratrices capable de verser des larmes sur un vairon mourant, une amante des livres qui ne lisait pas, une artiste inflexible et fière qui, si le besoin s'en faisait sentir, était prête à enfourcher la publicité avec plus d'empressement qu'une putain n'aurait comblé un bon client, une giclée féminine d'ironie et d'énergie sensible à qui il arrivait de se traîner comme une limace pendant des jours et des jours de spleen comateux, une femme-enfant mais aussi une actrice en mesure de déclencher une émeute en laissant tomber l'un de ses gants à une première, une fontaine de charme et une impossible casse-pieds, un cyclone de beauté ambulante quand elle était habillée pour plaire mais une souillon déprimante à ses pires moments - qui sentait mauvais, en plus! -, une géante et une naine de l'affect, une bonne vivante et à la fois une abjecte hyène mortifère qui s'hébétait de substances chimiques, un four sexuel dont le feu était apparemment allumé - elle gardait son soutien-gorge au lit -, elle, Marilyn, était plus ou moins l'armide (1) de glace qui nous hantait tous."
(1) Séductrice d'une grande beauté, du nom d'une héroïne de La Jérusalem délivrée, du Tasse.