Elixir de Jeunesse
Article publié
par Raphaëlle Pireyre
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Chérie, je me sens rajeunir
réalisé par Howard Hawks
Quinze après L’Impossible Monsieur Bébé, Howard Hawks entraîne à nouveau Cary Grant dans les aventures rocambolesques d’un scientifique. Cette fois, ce n’est pas du côté l’époque antédiluvienne, qu’il est tourné, mais vers la recherche de l’éternelle jeunesse, clé d’un bonheur conjugal sans faille.
C’est sur l’image de la façade d’un pavillon cossu que défilent les premiers noms du générique de Chérie, je me sens rajeunir (Monkey Business),
lorsque la porte s’ouvre, laissant apparaître un homme distingué,
portant frac et chapeau. Il avance tête baissée, marmottant quelque
propos inintelligible, absorbé par ses pensées, comme coupé du monde –
peut-être à cause de l’épaisseur des verres de ses lunettes. C’est
alors qu’une voix grave se fait entendre, off : « Pas encore, Cary ».
Pour Howard Hawks, l’homme que nous voyons n’est pas encore Barnaby
Fulton, scientifique distrait marié à Edwyna (Ginger Rogers), mais
toujours le célèbre comédien Cary Grant. Devant cette entrée en scène
prématurée, le réalisateur se sent obligé d’intervenir lui-même, ne
serait-ce que vocalement. Sommé de rebrousser chemin, l’acteur se
ressaisit, retourne sagement derrière le décor, et le générique reprend
son cours. Jusqu’au prochain faux départ. « Nooon », intervient à
nouveau la voix. Le balbutiement d’une fiction qui démarre à
contretemps tend à montrer qu’il existe un moment propice, où tous les
éléments sont réunis, où tout le monde est prêt, et où l’acteur peut
enfin faire disparaître ses traits de vedette sous le personnage qu’il
incarne.
Il est assez étonnant de voir un film hollywoodien se
désigner lui-même de la sorte, mettre en abyme son propre processus de
fabrication. Mais peut-être cette minute de réflexivité est-elle
destinée à nous rappeler que les deux hommes sont de vieilles
connaissances qui ont déjà souvent fait équipe par le passé. Peut-être
faut-il y voir le salut du metteur en scène à l’acteur avec lequel il a
inventé le personnage de paléontologue rangé, pris dans une
étourdissante aventure bien malgré lui, dans L’Impossible Monsieur Bébé.
Avec cet échange direct, pour le moins inhabituel, entre le cinéaste et
la star, c’est comme si Hawks affichait la couleur du défi lancé :
quelles nouvelles avons-nous à donner du personnage comique de
scientifique créé jadis ? Certes, le personnage n’est plus le Dr David
Huxley, il n’est plus paléontologue, mais il a en revanche gardé son
air ahuri et maladroit. En citant explicitement la fameuse scène où
Cary Grant était horrifié de voir, au beau milieu d’un restaurant chic,
l’arrière de la robe de Katharine Hepburn déchirée, Hawks assume
pleinement la parenté entre les deux films, et fait de Chérie, je me sens rajeunir une sorte de reprise de L’Impossible Monsieur Bébé quinze ans après.
Le temps a passé. Et c’est justement ce qui pose
problème à Barnaby Fulton, corps et âme dévoué à une recherche
capitale : une potion miraculeuse, source de jouvence. Fruit de savants
calculs, et surtout d’une aide inattendue, la formule est découverte.
Rajeunir n’est enfin plus une utopie. Mais cette boisson dont les
effets sont encore inconnus va être absorbée par les personnages à leur
insu. Si le scénario se construit sur cette base de science fiction,
Hawks n’a pas le projet de refaire un Dr Jekyll et Mr Hyde
dans lequel les protagonistes subiraient de spectaculaires
transformations. Les personnages vont rajeunir, mais en restant
identiques. Ce qui intéresse le cinéaste, c’est de pousser le jeu
d’acteur dans ses derniers retranchements. Comment Cary Grant, avec son
corps, sa grande stature, son élégance, peut-il trouver les gestes, les
attitudes, qui feront de lui un adolescent ou un enfant ? Conserver le
même corps, mais en décalant les gestes et agissements, la façon de
parler. Avec la précision qu’on lui connaît, Grant se plie brillamment
à l’exercice, et finit même dans un contre-emploi de genre, puisqu’une
bande d’enfants l’entraîne dans une séquence d’affrontement de cow-boys
et d’Indiens. Cette tonalité de science-fiction que prend le scénario
semble finalement relever d’une forme de défi lancé par le cinéaste à
son acteur : être aussi drôle que par le passé. De Cary Grant à la
joyeuse ribambelle d’enfants qu’il rencontre, du vieux Monsieur Oxley à
la secrétaire jouée par la jeune Marilyn Monroe alors peu connue, de
Ginger Rogers à un bébé qu’elle croit être son mari ayant absorbé une
dose massive de potion, c’est une galerie de personnages totalement
hétéroclites, à travers laquelle toute la pyramide des âges est
représentée, qui joue à s’échanger les rôles.
« Regarder le chaos en s’amusant », tel était le
principe comique de Howard Hawks. Or, qui doit le plus s’amuser de la
farce, sinon celui qui est à l’origine de tout : le singe de
laboratoire qui, fuguant de sa cage, a joué à l’apprenti sorcier,
mélangé tous les produits chimiques, et créé la fameuse potion. C’est,
encore une fois chez Hawks, comme dans plusieurs de ses films , la bête
qui mène la danse, comme si le cinéaste voulait nous dire une bonne
fois pour toutes que l’homme n’est qu’un animal comme les autres. Cette
joyeuse pagaille sur fond de formule magique et de performance d’acteur
vient mettre un peu d’aventure dans le quotidien d’un vieux couple qui
s’ennuie et pose une fois encore la question qui passionne le cinéma
classique hollywoodien : est-ce que le couple peut se bonifier avec le
temps ? Et Hawks, qui coulait alors des jours heureux avec une toute
nouvelle et toute jeune compagne, y répond avec un franc optimisme.