La rivière sans retour
Article publié par Charlotte Houang
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Réalisé par Otto Preminger. Scénario de Frank Fenton. Avec : Robert Mitchum, Marilyn Monroe, Tommy Rettig… Sortie aux États-Unis : le 30 avril 1954.
L’histoire
Fraîchement libéré de prison, Matt – Robert Mitchum – va récupérer son fils qui avait été recueilli par Kay (Marilyn Monroe), chanteuse dans le saloon d’une ville minière du nord-ouest des États-Unis. Cette dernière est éprise de Harry Weston, petit escroc et nouveau propriétaire d’une mine d’or acquise malhonnêtement au jeu. L’ancien prisonnier et son fils partent s’installer dans une ferme isolée au bord d’une rivière, lorsque le radeau de fortune de deux malheureux, entraîné par les courants violents, vient troubler leur tranquillité. Matt s’empresse de secourir les naufragés qui ne sont autres que Kay et son amant…
Le tournage
Pour ce western à gros budget – 3 800 000 de dollars – tourné en cinémascope, le studio Fox accorde à l’équipe de production 12 semaines de préparation et 45 jours de tournage. Otto Preminger et son équipe s’envolent pour Calgary fin juin 1953 avant d’emprunter un train spécialement affrété jusqu’à l’hôtel Banff Springs, situé en plein cœur des Rocheuses. La foule s’amasse le long des rails dans l’espoir d’apercevoir Marilyn Monroe, dont le succès est grandissant depuis la sortie des films Les hommes préfèrent les blondes et Comment épouser un millionnaire.
Souriante sur les photos de l’époque, cette dernière ne laisse rien paraître de l’ambiance délétère du tournage. Le réalisateur Otto Preminger ne supporte pas la professeur d’art dramatique de Marilyn Monroe, Natasha Lytess, et tente en vain de l’évincer. Marilyn accumule les retards sur le plateau et peine à mémoriser son texte. Le réalisateur et l’actrice ne tardent pas à se détester. Otto Preminger doit également faire face à des conditions de tournage pénibles. En plus du temps pluvieux, les scènes tournées sur la rivière Bow relèvent du défi. Les acteurs, bien que doublés lors des cascades, doivent jouer sur un radeau accroché à la rive. Leurs moindres déplacements en sont rendus délicats : les pierres sont glissantes, les courants violents, Robert Mitchum abuse de la boisson et Marilyn Monroe est inattentive. Celle-ci se foule d’ailleurs la cheville peu avant la fin du tournage, l’obligeant à tourner les scènes intérieures à Los Angeles avec des béquilles.
Que sont-ils devenus ?
Très en vue depuis la sortie de Laura dix ans plus tôt, Otto Preminger, dopé par la réalisation de son film indépendant La Lune était bleue, se rend compte avec La rivière sans retour qu’il ne supporte plus de travailler pour un studio. Après ce tournage chaotique, il déboursera 150 000 $ pour rompre son contrat avec la Fox, censé se terminer six mois plus tard. Considéré comme un cinéaste de génie, il réalise plusieurs grands longs-métrages, dont l’audacieux Autopsie d’un meurtre sorti en 1959, avec James Stewart dans le rôle principal. Sa rancune envers Marilyn Monroe est tenace et il la critique longtemps après la sortie du film, allant jusqu’à affirmer que « même pour un million de dollars » il refuserait de la diriger à nouveau. Il ne se radoucit qu’après la mort de l’actrice.
De son côté, Marilyn Monroe a souvent dépeint ce film comme « le pire » de sa carrière. L’image de pin-up dont elle cherche désespérément à se débarrasser est encore accentuée dans La rivière sans retour. Après une courte brouille avec la Fox, elle incarne Vicky dans le film musical La joyeuse parade, un échec commercial. La jolie blonde renoue cependant avec le succès un an plus tard lors de la sortie de Sept ans de réflexion de Billy Wilder, réalisateur qu’elle admire profondément. Elle y tournera la scène la plus emblématique de sa carrière où l’air sorti d’une grille d’aération soulève sa robe blanche.
Tommy Rettig, qui incarne le fils de Matt dans le film, fut choisi parmi 500 garçons pour interpréter le rôle du meilleur compagnon de Lassie, dans la série télévisée du même nom diffusée jusqu’en 1957. Après l’arrêt de la série, le natif du Bronx peine à obtenir des rôles d’adultes consistants au grand écran et devient, contre toute attente, ingénieur informatique.
À l’instar de Marilyn Monroe, Robert Mitchum, l’homme aux 700 films, a obtenu le statut de mythe vivant et incarne aujourd’hui dans les mémoires un idéal hollywoodien. Connu pour son attitude de mauvais garçon, il cultive tout au long de sa carrière un je-m’en-foutisme prononcé. Personne n’osera le lui reprocher après son rôle-titre dans La nuit du chasseur, le chef-d’œuvre de Charles Laughton, sorti en 1955. Quarante ans plus tard et deux ans avant sa disparition, Robert Mitchum joue au coté de Johnny Deep dans Dead Man, son dernier film, dirigé par Jim Jarmusch.
La critique
Les coulisses du tournage ont finalement bien plus d’intérêt que le film en lui-même. Les décors naturels de l’Alberta, époustouflants, ne suffisent pas à sauver un western ennuyeux dont le scénario s’inspire pourtant du film néo-réaliste italien emblématique Le voleur de bicyclette. L’errance des personnages, propre à ce courant cinématographique, est bel et bien omniprésente avec ce radeau de fortune sur lequel Monroe apparaît peu convaincante. D’autres scènes, censées dynamiser le récit, frôlent le ridicule, comme celle où Kay et Matt se battent pour mieux se séduire au milieu de la forêt. Le film vaut cependant le coup d’œil ne serait-ce que pour admirer les Rocheuses, capturées en Technicolor, et ses acteurs, éternelles étoiles hollywoodiennes. ■